Pour Noël, je me devais de vous proposer un récit de saison. Je cherchais une idée originale quand je me suis souvenu de ce conte désespérant d’Anderson : La petite fille et les allumettes. La graine était plantée. Il m’était impossible d’envisager autre chose…et si un élément fantastique changeait la morale de cette histoire ?
Un bonus vous attend en fin d’article.
Auteur : Pascal Vanpée
Librement et honteusement inspiré de La petite fille et les allumettes de Hans Christian Anderson et traduit par par David Soldi. Original disponible sur Wikipedia sous licence Creative Commons.
Attention : certains récits peuvent contenir des scènes de violence modérée ou des éléments qui pourraient choquer de jeunes lecteurs. Il est recommandé de les lire à partir de 16 ans.
Comme il faisait froid ! la neige tombait et la nuit n’était pas loin ; c’était le dernier soir de l’année, la veille du jour de l’an. Au milieu de ce froid et de cette obscurité, une pauvre petite fille passa dans la rue, la tête et les pieds nus. Elle avait dans son vieux tablier une grande quantité d’allumettes, et elle portait à la main un paquet. C’était pour elle une mauvaise journée ; elle ne trouvait de badaud digne d’intérêt pour celles-ci. Une faim terrible la tiraillait profondément. Une faim comme elle ne connaissait pas avant. Elle sentait ses forces la quitter peu à peu tandis que le vent glacial raidissait ses membres. Les lumières brillaient aux fenêtres des riches demeures. Les clameurs de rires et de chants lui parvenaient. Ses sens exacerbés humaient le fumet de rôtis. C’était la veille de l’an et ce festin lui restait inaccessible.
Elle s’assit et s’affaissa sur elle-même dans un coin, entre deux maisons. Le froid la saisit de plus en plus. Elle se rappela comment cela se passait chez elle ; son père la battait si elle revenait sans la moindre pièce. Ils vivaient sous les toits, au milieu des courants d’air à se partager une couverture miteuse et des pantoufles trop grandes et usées. Mais le passé restait le passé. Aujourd’hui, tout était différent. Le passage d’un riche notable dodu rompit sa rêverie. Dans ses beaux habits, il rentrait de la fabrique pour retrouver le confort de sa maison cossue. Elle l’attendait. Hélas ! Ses petites mains étaient presque mortes de froid. Elle rencontra d’énormes difficultés à frotter une allumette contre le mur. Ritch ! Elle éclata d’une lumière vive qui attira le regard du monsieur. La chaude lueur se projeta dans la prunelle de ses yeux.
Monsieur Ernest rejoignait sa demeure après une journée à suivre le labeur de ses employés. Soudainement, il se retrouva chez lui, assis dans son fauteuil devant son poêle au couvercle cuivré qui diffusait une douce chaleur. Il voulut étendre ses pieds pour les réchauffer quand il remarqua la petite souillonne affalée dans un coin de la pièce. Monsieur Ernest détestait l’oisiveté, surtout lorsqu’il s’agissait des enfants à son service. Il se leva et s’empara d’un tisonnier. La lueur du poêle s’éteignit et il se retrouva dans le froid de la rue, face à l’enfant tenant une allumette fumante entre les doigts.
La petite fille fourragea dans son tablier et en sortit une autre qu’elle frotta aussitôt. Là où la lueur tomba, le mur devin transparent. Monsieur Ernest se trouva attablé, chez lui, avec sa femme et ses deux filles. Toutes gardaient le regard baissé, comme il convenait, alors qu’il s’apprêtait à couper l’oie grasse qui trônait dans un plat en porcelaine. La petite souillonne tenta de piquer l’animal de sa fourchette. Celui-ci roula sur la belle nappe blanche et tomba au sol. Furieux, monsieur Ernest commença à défaire sa ceinture, déterminé à corriger cette mal apprise. Mais il n’avait devant lui qu’un mur gris et froid.
Le bruit d’une allumette que l’on frotte lui parvint et la rue s’estompa une nouvelle fois pour laisser place à son riche bureau décoré de cuir et de marqueterie. La petite souillonne se dressait devant lui avec un air d’ingénue. Elle lui évoquait cette petite bonne de chambre qu’il aimait à taquiner, quand il se savait seul dans la maison. Ce serait leur secret lui soufflât-il à l’oreille, alors qu’il sentait leurs bustes se serrer. Il frémit lorsque les lèvres de la petite glissèrent le long de sa nuque. Une douleur fugace au cou le fit frissonner avant qu’une douce et chaude extase s’empare de son corps gourd. Dans le coin, entre les deux maisons, était affalé, quand vint la froide matinée, un homme dans ses riches atours, les joues blanches, le sourire sur la bouche… mort, mort exsangue, le dernier soir de l’année. Le jour de l’an se leva sur le cadavre assis là avec des allumettes brulées. « Il a voulu se chauffer ! » dit quelqu’un. Tout le monde ignora la petite fille qui les regardait depuis l’ombre d’un porche. Ses yeux rouges brillaient d’une sombre lueur. Elle sentait encore la vigueur de ce porc palpiter en elle. Hier, il la maltraitait alors qu’elle menait une vie de pauvreté et de souffrance. Aujourd’hui, il devenait, ainsi que tous ses semblables, une proie entre ses mains. Elle se détourna, pensant au prochain nom sur sa liste.

En bonus, pour les fêtes, Pierre-Lionel de La Crique de L’Aube a donné vie à ce conte en y posant sa voix. Découvrez son univers de conteur et abonnez-vous à sa chaîne, si vous aimez.
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