Auteur : Pascal Vanpée
Illustrations générées par NightCafé
Avec le développement fulgurant des IA génératives, je lis beaucoup de posts relatant l’inquiétude des artistes.
Ces questions, je me les suis posées, aussi bien dans le cadre de ma démarche artistique que comme consommateur de ces outils. De par ma profession de chef de projet IT, je suis également tenu de me renseigner à ce sujet, me permettant d’avoir une vision assez large du sujet.
Dans cet article, je vous propose ma synthèse des craintes fondées et infondées, ainsi que les opportunités et lignes de conduite qui me semblent pertinentes.
Car au-delà des questions qu’elles soulèvent, les IA débarquent en force. Elles présentent des avantages concurrentiels conséquents à ceux qui l’utilisent. Des postures de boycotte, même si elles ont du sens, ne freineront pas son développement et font courir un risque en matière de business à celles et ceux qui les prennent.
Mais pas à n’importe quel prix !
En deux mots, c’est quoi une IA ?
Les intelligences artificielles sont très mal nommées. En réalité, les solutions cognitives leur conviennent mieux.
Il s’agit de systèmes mathématiques capables de calculer la probabilité de la réponse à donner. Pour parvenir à ce calcul, elle doit au préalable « apprendre » son sujet en se basant sur des quantités de données conséquentes et qualitatives.
Par exemple, si l’on entraîne une IA avec des centaines de milliers de photos de chats et de lapins, elle pourra, avec un taux d’erreur très faible, vous dire si une photo est celle d’un chat ou d’un lapin… même si c’est la photo d’un panda.
Bien entendu, aujourd’hui, grâce à l’internet social, les données disponibles sont nettement plus riches et complètes que quelques photos de lapins et de chats. De même, les modèles génératifs sont beaucoup plus puissants. Mais le principe reste le même : Une IA est et reste un modèle mathématique, se basant sur un set de données et calculant la probabilité de la réponse à apporter.
Cela implique qu’en l’état de l’art, elle n’a pas de conscience, elle est spécialisée et sa mission est de toujours d’apporter une réponse statistiquement correcte. Au plus, les données sur lesquelles elle se base sont nombreuses et qualitatives, au plus cette réponse sera régulièrement pertinente. Dans les autres cas, on parle d’hallucinations de l’IA1.
Les frontières non discutables
Si certaines peurs sont infondées, trois éléments ne relèvent plus du risque, mais clairement de l’inacceptable : le non-respect de la propriété intellectuelle, la création de faux contenus et la centralisation des solutions sur un petit nombre de sociétés.
Je n’aborderai pas les problèmes des acteurs et doubleurs pour lesquels je ne suis pas suffisamment renseigné. De même pour les impacts environnementaux, sociétaux et économiques, très préoccupants, mais qui demandent des analyses pour lesquelles d’autres sont plus légitimes que moi.
La propriété intellectuelle
Le top un en matière de frontières est indiscutablement celle de la propriété intellectuelle. Il se pose à deux niveaux : en amont et en aval de la création. En amont, les IA s’alimentent allégrement des contenus laissés sur internet sans que leurs propriétaires ne soient conscients de cette utilisation. Les développeurs informatiques qui ont laissé leurs lignes de codes à disposition de la communauté Open Source GitHub en ont fait les frais après que celle-ci fut rachetée par Microsoft et livrée à l’IA2.
Il en va de même pour les artistes. Durant deux décennies, les géants du Web les ont incités à partager leur travail en ligne, sur les réseaux sociaux ou des plates-formes dédiées. Tous ces environnements sont largement balayés (crowlés pour être exacts) afin d’alimenter les IA, sans aucune considération pour la propriété intellectuelle (et ne parlons pas de rémunération.) En aval, le problème est encore plus complexe : jusqu’à quel point un contenu créé « à la façon de » lui appartient. Les acteurs de l’IA ont la réponse : à aucun moment.3
Il est donc excessivement difficile pour un artiste de se soustraire à cette appropriation de son travail, à partir du moment où une partie de celui-ci se trouve sur la toile, qu’il utilise ou non les IA. La solution est espérée du côté des législateurs. Mais même si cela bouge4 c’est toujours avec retard et des consensus souvent dans le sens du gros pourvoyeur d’emploi. Les artistes vont devoir s’organiser et s’adapter à ce nouveau cadre et cela ne se fera pas sans casse ni appauvrissement des contenus et des créateurs.
Les faux
La seconde limite dépassée est celle de la production de faux. Les IA deviennent tellement puissantes qu’elles sont capables de reproduire des œuvres fausses, mais crédibles. Ces faux peuvent nuire à l’image d’un artiste en détournant son travail, aux individus en détournant leurs photos5, de propager des fake news et même perturber l’économie6. Certains géants7 de l’industrie s’attaquent au sujet pour identifier ou bloquer certains contenus. De nombreuses plaintes sont aussi déposées. Mais force est de constater que les sanctions et les actions sont loin d’être dissuasives.
La représentativité
Le dernier point que je relève pourrait sembler moins concerner les artistes, et pourtant… Les ressources nécessaires pour mettre en place ces IA génératives sont concentrées dans les mains d’un très petit nombre d’acteurs et d’état. Chacun développe les algorithmes de leur service à l’aune de ses valeurs et croyances. Cette concentration représente une grande pauvreté en matière de points de vue, de culture, de diversité8… Essentiels à l’expression artistique. De nombreux acteurs culturels sont conscients de cet état de fait et se retrouvent confrontés à un paradoxe : comment y être présent sans clairement y aller et se faire piller.

Toutes ces frontières témoignent de l’arrivée de technologies, transformant potentiellement profondément notre société, développée au pas de course sans concertation globale sur le monde que nous voulons pour demain. L’impact sur l’emploi et le bien-être des humains est évident et demandera la plus grande attention.
Pourquoi ne pas en avoir peur ?
Si les IA sont appelées à poursuivre leur développement et à soutenir une hausse de la productivité de l’humain (chacun jugera de l’intérêt,) elles restent limitées par des éléments immuables, dont les lois mathématiques.
Un modèle mathématique
Aussi bluffantes soient-elles, elles ne sont que des algorithmes complexes traitant une quantité phénoménale de variables. Tant que les IA seront basées sur ce principe, elles ne seront jamais autonomes, sociables, ni… créatives.9
En d’autres mots : aucune IA ne fait et ne fera jamais de l’art !
Le résultat d’un calcul ne sera jamais de l’art. Il n’y a aucune intention, aucune recherche, aucune émotion dans ce que génère une IA.
De même, si des artistes peuvent utiliser l’IA pour faire de l’art, l’IA ne fait pas de ses utilisateurs un artiste. Un artiste plasticien parviendra à faire une œuvre profonde avec des feuilles contenant des équations, sans qu’empiler ces mêmes feuilles ne soit une œuvre.10
La démarche artistique
Si les artistes et l’IA ont la même démarche au départ, c’est-à-dire piocher son inspiration dans tout ce qui existe, la ressemblance s’arrête là. Face à l’exhaustivité de la machine, l’artiste a une connaissance biaisée par son vécu, sa perception, sa sensibilité et ses émotions. Jamais un algorithme ne connaîtra l’ombre, la folie, la souffrance, l’exaltation, l’apaisement… à l’origine des plus grandes œuvres. C’est mathématiquement impossible ! Tout ce qui sera généré ne pourra recevoir ce supplément d’âme qui caractérise l’art et toute démarche créative.
L’exploitation
Sur cette base, les personnes qui, par naïveté ou choix mercantile, penseraient publier une œuvre en laissant tourner une IA ne feraient que livrer une coquille vide. Si un certain nombre de clients achètent ce produit, j’ai la conviction que la grande majorité du public dénoncera ce type de pratique et se détournera de ces auteurs. Cela n’empêchera pas certains de faire de l’argent sur des « one shot », mais le phénomène se tassera au fil des déceptions. Au revoir romans, scénarios de jeux de rôles, artbook… générés par IA et vendus à prix inégalables, mais à faible qualité. Malheureusement, ce genre de démarche fera toujours mal aux autres acteurs, devant faire face à une concurrence agressive et déloyale.
L’opportunité pour les artistes
Conscient de ce qui précède, l’IA recèle des opportunités pour les artistes. Si la défiance est légitime, l’avantage concurrentiel qu’elle apporte ne peut pas être nié. Une posture de boycotte total représente un risque de se faire dépasser par le marché et par des acteurs moins scrupuleux. À mon sens, il est essentiel que les artistes s’approprient l’outil avec éthique et modération.
Je me permets d’explorer ci-dessous trois approches qui me semblent vertueuses. C’est péremptoire de ma part et je ne veux dicter la conduite de personne. Je vous présente juste mes réflexions en mode « inspiration » sans ambition de détenir la vérité ou d’être exhaustif.
Les contenus « low costs »
Comme vous l’aurez constaté, j’utilise des illustrations générées sur NightCafé pour le blog. Ma démarche créative est littéraire. Je n’ai pas de talent en matière d’illustrations et préfère me concentrer sur l’écriture. Malgré tout, les règles des réseaux sociaux veulent qu’une image attire plus long texte. Me voici donc face à un dilemme.
En l’état, je ne génère aucun revenu. J’adorerais présenter le travail d’artistes, mais je n’aurais qu’une visibilité inexistante à leur proposer en paiement. J’ai suffisamment pesté sur les personnes qui me payaient en recommandations quand j’étais consultant que pour envisager d’en faire autant.
Pour le moment, l’IA est donc une solution qui me permet de générer des images qui collent peu ou prou à mon contenu. Elles apportent une ambiance et une atmosphère à mon blog, dans des délais et des prix hors concurrence. Mais je suis tout à fait conscient qu’il ne s’agit pas d’art et l’indique clairement pour ne pas créer d’ambiguïté.
Par contre, j’ai déjà des propositions de collaborations qui me réjouissent et qui, je l’espère, se concrétiseront dans les mois à venir.
Et si le blog fonctionne bien et qu’il me permet un jour d’en avoir un revenu, ce sera avec plaisir que je payerai pour du contenu original créé par un humain.
La source d’inspiration
Tout projet créatif commence par une réflexion. Si la première idée peut-être bonne, elle gagne souvent à être approfondie et enrichie par des recherches, des ruminations et l’apport d’idées extérieures. L’IA apporte une source d’inspiration sous forme d’un résumé fourni à partir d’une gigantesque bibliothèque. L’approche « langage naturel » permet de rebondir sur des idées et de les explorer. La machine ne créera pas votre contenu original et créatif, mais elle donnera certainement des pistes qui vous feront diverger. C’est un avantage quand les délais sont tendus.
Pour prendre mon exemple personnel, quand j’écris, je suis très visuel. J’imagine les scènes, les décors et les personnages. Proposer certaines de ces scènes à NightCafé a parfois permis d’enrichir la vision que j’en avais. Une île, pour un projet à venir, qui était vague dans ma tête est devenu un décor vivant et concret prêt à accueillir une partie de mon aventure.
C’est assez comique, quoique pas forcément surprenant, mais c’est souvent dans les hallucinations (des incohérences dans la restitution, mais correctes pour l’algorithme) que j’ai trouvé les sources d’inspirations les plus riches.
La validation de concept.
De nombreux artistes qui essayent de vivre de leur art fournissent des travaux que l’on pourrait qualifier d’alimentaires. Que ce soit pour des privés ou pour une entreprise, c’est difficile de rejeter cette source de revenus. Ce sont des missions qui peuvent se révéler compliquées et frustrantes. Côté client, il veut le plus beau texte ou le plus beau dessin, mais à des contraintes de temps et de budget. Côté artiste, pour le montant décidé, il est compliqué de tenir compte de tous les critères du client et d’accepter toutes les demandes. L’équilibre financier est fragile et, face à de nombreuses modifications, il peut vite se briser et devenir chronophage.
Dans ce genre de cas, l’IA représente une vraie plus-value à plusieurs étapes.
La première, elle permet, avec peu de productions et de retouches, de rapidement proposer plusieurs concepts au client. Que ce soit des ébauches ou des descriptions littéraires de l’approche « absolument nécessaire pour que le comité de direction valide le budget », avec peu d’apprentissages et efforts, l’IA mettra vos idées en bon ordre et avec la structure voulue par votre client.
En fonction du type de création, l’ébauche peut même servir de brouillon à votre travail. Vous gagnerez un temps de préparation ou d’exécution précieux.
Ainsi le résultat collera au mieux aux contraintes de la mission, en préservant une charge raisonnable.
C’est d’ailleurs une approche largement empruntée par le marketing, souvent tenu à fournir du contenu très rapidement.
Les outils de correction
Voilà pour ces trois inspirations. Vous remarquerez que je ne parle pas des outils de correction.
J’avoue que mon orthographe n’est pas extraordinaire et, pour un blog de surcroît, les cycles de relectures sont réduits. La correction sans IA marche déjà très bien. L’IA a tendance à modifier également des tournures. Or, même si je pense avoir encore beaucoup de compétences à développer en matière de style littéraire, je ne suis pas convaincu que laisser une machine lisser mes textes m’aide à apprendre. Pire, cela gomme ce qui fait ma particularité et mon phrasé. Ils plairont ou non, mais feront que ma démarche est personnelle et pas celle d’un autre. Donc, je suis mitigé, au cas par cas, par rapport à ces outils.
Pour conclure
Oui, l’IA présente de nombreux problèmes en termes d’éthique et d’impact sur sociétaux et environnementaux. Il est urgent que les états légifèrent et nous devons rester vigilants et acteurs face à une technologie à même de profondément changer nos modes de vie sans que nous n’ayons été concertés.
Il faut en combattre les dérives et veiller à ne pas consommer des produits vides et purement mercantiles. Cette phrase pourrait être utilisée pour de nombreux autres aspects de nos sociétés, du dropshipping, à la formation en ligne, en passant par le financement participatif, le cinéma, etc.
Malgré tout ses travers, l’IA devient un outil riche en opportunités dont nous pouvons nous emparer, sans angélisme et sans la placer au sommet de nos sociétés.
Cela reste mon opinion, bien entendu, et il y a encore beaucoup plus à dire que je ne peux aborder en un article. Sentez-vous libre de partager la vôtre en commentaire.
Ressources
Une sélection de quelques sources pour alimenter et enrichir le débat.
- Les IA peuvent produire des réponses “convaincantes, mais complètement fictives”, alerte un cadre de Google sur Les Numériques ↩︎
- GitHub met l’intelligence artificielle au service des développeurs sur Les Echos ↩︎
- Intelligence artificielle, droit d’auteur et propriété intellectuelle par HAAS-Avocats ↩︎
- Les Etats-Unis mettent en garde l’Europe sur son projet de réglementation de l’IA sur L’Usine Digitale ↩︎
- EN ESPAGNE, UNE IA DÉNUDE LES JEUNES FILLES SUR LES PHOTOS, UNE ENQUÊTE EST OUVERTE sur BFM TV ↩︎
- Une fausse photo générée par intelligence artificielle a perturbé Wall Street sur L’Echo ↩︎
- OpenAI promet un outil pour détecter les photos générées par l’IA sur L’Usine Digitale ↩︎
- Les technologies de l’intelligence artificielle doivent prévenir les discriminations et protéger la diversité par le Parlement Européen ↩︎
- « L’intelligence Artificielle n’existe pas » de Luc Julia ↩︎
- Intelligence artificielle : les craintes et réactions du monde de l’art sur RTBF ↩︎

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