Il y a quelques mois, je vous avais promis un retour à propos du jeu de rôle Nautilus du Studio DeadCrows. Depuis, nous avons avancé dans la campagne et, avec mes joueurs, nous avons pris une décision décisive.
Dans la mesure du possible, j’ai essayé de ne pas vous spoiler sur des éléments de scénario. Malgré tout, pour éclairer mes propos, j’ai dû révéler quelques thèmes et informations génériques. Si vous souhaitez jouer comme PJ et garder un regard neuf, je vous conseille de vous arrêter à « L’aventure commence. »
De février à mai 2019, le Studio DeadCrows menait une campagne de financement participatif pour un jeu de rôle aux nombreuses promesses alléchantes. À l’époque, je n’avais pas suivi cette campagne, mais les retours positifs lors de sa livraison et un article dithyrambique dans le magazine RAVAGE avaient titillé mon monde intérieur de MJ.
Après quelques recherches en deuxième main, je parvins à réunir le matériel nécessaire pour jouer. À moi les aventures à la Jules Verne.
Ce à quoi je m’attendais
Les promesses du jeu étaient donc alléchantes.
Je ne vais pas m’attarder sur les éléments d’édition et de goodies (couverture alternative, marque-pages…) qui n’étaient pas à l’origine de ma motivation.
Ce qui m’a vraiment attiré, c’est que Nautilus proposait un monde d’aventures verniennes, aux origines du steampunk, grâce à deux arguments : un système, simple et éprouvé, et une campagne clé sur porte.
N’étant pas fan des longues lectures de règles de jdr et des interminables recherches du facteur de modification en cas de diffraction de la lumière sur une lunette de visée, l’approche d’un système simple, éprouvé et faisant la part belle à l’aventure, me tenta directement. En me renseignant, cela semblait en plus intégré dans le thème avec, entre autres, une jauge de pression pouvant déclencher des effets Kraken : un élément catastrophique digne d’une attaque de pieuvre géante.
Ayant plusieurs projets sur le feu et aimant régulièrement changer, l’aspect « campagne clé sur porte » constituait pour moi la seconde grosse promesse : celle d’une immersion intense, mais contenue dans le temps, aussi bien de préparation que de jeu.
Et tout cela en un livre !
Ce que j’ai reçu
J’avoue ne pas avoir été déçu par le matériel. J’ai récupéré le livre de règles avec la couverture en fac-similé des éditions Hetzel, l’écran, les suppléments et quelques goodies, dont la carte du Nautilus. Le tout fleure bon l’aventure et donne envie de s’y mettre.
Les illustrations du livre de règles vont des gravures des éditions d’antan à des dessins originaux allant du très bon au très moyen.
Tout était bien présent en un tome : la description du monde, le système de jeu et une campagne. Petite déception, sur le site des DeadCrows, je trouve rapidement les fiches de personnage vierges, mais pas les documents à partager avec les joueurs… dommage, mais pas dramatique.
Jusque-là, tout va bien ! Il n’y a plus qu’à lire.
Premiers pas
La description du lore me semble poser correctement le cadre. J’y retrouve l’état du monde, les enjeux d’une aventure vernienne, une chronologie des faits historiques mélangés avec les écrits « officiels, » ainsi que l’organisation à bord.
Le thème du jeu sous forme de réflexion de la science sans conscience est intelligent et excessivement contemporain. Une preuve, s’il en fallait, de l’intemporalité de l’œuvre de Verne (ou de l’humanité qui s’acharne à s’autodétruire depuis presque deux siècles… c’est selon.)Le système de jeu est simple : des caractéristiques génériques (viser, endurer, savoir-faire…) apportent un nombre de dés 10 à lancer. Les spécialisations (compétences) permettent des relances. Le seuil de réussite est fixé par la jauge de pression. Au plus l’aventure avance, au plus la pression monte, jusqu’à l’effet Kraken, qui est narrativement dramatique, mais fait redescendre la pression. Le combat se fait par test d’opposition de la même caractéristique. Pour des moments critiques à bord du Nautilus, les actions peuvent être exécutées en groupe. Simple et propre… d’apparence.
La création de personnages est un vrai bonheur. Elle invite les joueurs à la faire ensemble, en se posant des questions sur les valeurs collectives, ce qui lie les PJs entre eux ou au reste de l’équipage, etc. Le Nautilus a également droit à sa fiche avec un pimp léger à faire pour s’approprier le bâtiment.
Me voilà avec un groupe de PJs constitué et motivé.
Tout cela est très réjouissant.
L’aventure commence pour le Nautilus

La campagne propose un retour sur les grands récits de Jules Verne. L’approche est attrayante, mais peu inquiéter. Si certaines sources d’inspirations sont des classiques, d’autres me sont totalement inconnues. Je n’avais pas vraiment prévu, au-delà d’une ou deux relectures, de me faire l’intégrale de Verne avant de jouer !
Ouf, d’après le bouquin, ce n’est pas nécessaire, toutes les informations utiles pour jouer chaque épisode, en ce compris le rappel de l’œuvre originale, sont incluses. Autant de promesses dans un livre aussi peu épais commencent à relever de la magie.
Mais force est de constater que, dans le premier scénario, c’est le cas. L’histoire, ses enjeux et ses protagonistes sont clairs. Les PJs sont impliqués et savent pourquoi ils doivent y aller.
Rapidement, nous regardons les tables de temps de navigations, les semaines à décompter pour savoir quand devoir réarmer le bâtiment, les évènements aléatoires (très limités et sans intérêts.) Nous décidons d’un commun accord de nous consacrer à l’aventure sans tomber dans le simulationnisme des trajets, que nous jugeons absolument sans aucun intérêt ludique.
Voilà donc mon équipage qui débarque pour son baptême du feu. Ah oui, ça s’appelle Nautilus, mais le premier scénario n’a pas lieu à bord. Dommage pour la fiche de bâtiment, les règles d’éperonnage, etc. C’est probablement pour les suivants (attention spoil : ou pas !)
L’aventure se passe très bien et confirme les promesses du jeu.
Nous faisons quelques constats sur le système de jeu : les règles de combat sont absurdes en cas d’usage d’armes à feu (test en opposition avec la même caractéristique.) Mais rien d’insurmontable pour un MJ.
En revanche, le système est difficile et mortel.
La jauge qui monte au fil de l’aventure rend très rapidement les seuils de réussites difficiles à atteindre. Essayez de faire, avec 3d10, 2 réussites à 7+… même avec une relance ! Dans ces conditions, le moindre jet de dés pour un évènement environnemental devient impossible pour le groupe. L’aventure tourne donc à de longues scènes pour tenter de se sortir d’un simple glissement de terrain anodin.
Quand vient enfin le combat final, où chacun s’attend à un moment épique, au premier coup de feu, un personnage mord la poussière. Ça calme.
D’accord, le groupe a dû faire preuve de cohésion pour trouver une approche « scientifique » au conflit, au détriment de toute tension et surtout, sans opportunité de créer l’action décisive dont on se souviendra encore dans vingt ans.
Mais c’était un premier scénario et les joueurs sont motivés de passer à la suite.
Décollage raté
J’attaque donc la préparation du second scénario qui (navré pour le spoil) revient sur « De la Terre à la Lune » pour un second voyage.
L’idée est sympa, bien qu’une nouvelle fois elle ne se passe pas à bord du Nautilus.
Rapidement, dans ma lecture, je réalise que rien ne va !
D’entrée de jeu, un premier problème se pose : pourquoi ? Pourquoi les PJs s’embarqueraient-ils pour un voyage sans retour vers la lune ? Et comment les amener à cela ?
J’ai l’impression qu’il manque minimum deux pages de mise en contexte et d’explication de la situation initiale. Malheureusement, pas de trace d’errata. Il va falloir broder.
Pour la suite, je vais de déconvenue en déconvenue.
Il devient manifeste que l’auteur de ce scénario n’a même pas lu le Wikipédia relatif à ce récit. Rien de la logique scientifique et des innovations sur lesquelles s’appuyaient Verne pour rendre son histoire cohérente n’est respecté. Les rebondissements en deviennent capillotractés. Bref, c’est tout le scénario qui s’effondre. N’ayant pas le temps de tout réécrire, nous l’avons joué tel quel. Mais rapidement, le gimmick « Ta Gueule, c’est Jules Verne » s’est imposé chez les joueurs.
Passons, puisque la partie SF n’est que prétexte à un huis clos paranoïaque… qui malheureusement, ne fonctionne pas plus. Les motivations des PnJs tiennent sur un timbre-poste, rendant la situation caricaturale. Les évènements proposés sont littéralement impossibles dans l’environnement confiné de l’obus.
Une nouvelle fois, j’oscille entre le manque de recherches en amont ou l’absence de plusieurs pages d’informations précieuses sur des adaptations structurantes de l’œuvre d’origine.
La fin du scénario est la plus intéressante, sous forme d’hommage aux classiques de la SF old school, de type « Planète Interdite. » Malheureusement, le passage est sous exploité. De toute façon, à ce stade la suspension d’incrédulité des joueurs a tellement été malmenée que plus grand-chose ne passe.
Le thème enthousiasmant proposé se termine en demi-teinte à la place de l’aventure incroyable promise.
La descente aux enfers du Nautilus
J’intercale un petit interlude lovecraftien de mon cru, à bord du Nautilus, qui se passe très sympathiquement, avant d’attaquer le scénario suivant.
Je ne vais pas m’étaler en détail, je vais juste reprendre ce qui, à mon sens, a terminé d’enterrer le jeu au sein du groupe.
Une nouvelle fois, je dois retravailler l’accroche qui est franchement légère.
Le Nautilus traverse un tunnel en immersion totale pendant « plusieurs mois » alors que Verne (et les règles) précise qu’au bout de 4 jours, cela devient mortel pour l’équipage.
La table d’évènements aléatoires n’apporte absolument rien à l’histoire. Pire, certains de ces évènements rendent théoriquement tout retour impossible (ce que les pjs n’ont pas tardé à relever.)
On se retrouve en situation de combat contre des monstres aquatiques… pour lequel le Nautilus n’est pas équipé. Vous imaginez un sous-marin éperonner une créature aquatique dans un tunnel où il ne sait pas manœuvrer ?
Les joueurs débarquent dans un monde fermé sandbox alors que ce n’est ni le rythme, ni l’ambiance, ni le thème. Cela pose de nombreuses questions en matière de gestion des ressources, puisqu’une nouvelle fois, l’équipage est à terre et plus en mer.
Le territoire à explorer est gigantesque et représente des mois TI et beaucoup trop de séances TO. Seulement, étant donné la létalité du système de jeu, les rencontres conflictuelles avec la faune ou d’autres habitants doivent être réduites. Ce qui reste sur la petite table des rencontres sont quelques épreuves environnementales vites redondantes (et potentiellement difficiles si la pression est trop haute.) Il est donc inutile de prolonger ces séquences d’exploration.
Une multitude de zones d’ombres et d’imprécisions, comme un calendrier des évènements antérieurs, le nombre des protagonistes, leurs moyens, cachent les fragilités du scénario, voire des impossibilités. Ainsi les antagonistes de cette histoire semblent avoir accès à certaines ressources en quantité inépuisables, sont capables de faire construire une forteresse en quelques mois sans outils ni compétence…
Mais surtout « Ta Gueule, c’est Jules Verne ! »
Touche finale : la Némésis de la campagne, posée en épisode 1, présente en filigrane en épisode 2, est totalement absente en épisode 3 ?????
Je pense que l’expression « ni fait, ni à faire » illustre parfaitement là où nous en sommes.
Et quand j’aborde la lecture du scénario 4, l’auteur informe « qu’exceptionnellement ce scénario se passera en dehors du Nautilus »… Ah !
Un équipage du Nautilus sans saveur
À ce stade de jeu, un constat supplémentaire s’impose.
Malgré une création de personnages vraiment qualitative et qui les ancre dans le monde, les liens créés au sein des pjs n’apportent absolument rien en jeu. C’est principalement dû au fait que le Nautilus et son équipage ne sont qu’un moyen d’accéder aux aventures, plutôt que d’être le théâtre des opérations.
Pire, au fil de l’évolution des personnages, le système est tellement générique que les différences s’effacent. Finalement, le chef machiniste peut remplacer le timonier, la chimiste ou le maître d’équipage avec autant de succès.
Même sans être hyper simulationniste, la spécialisation d’un personnage et les bonus qui en découlent sont le moteur de cohésion du groupe et générateurs de moments de grâce qui font les grandes aventures.
Ma conclusion
J’insiste sur ce titre : ma conclusion.
Je n’ai pas la prétention de pouvoir dire : le jeu de rôle c’est ceci et donc Nautilus n’est ou n’est pas cela.
J’ai mon propre style de jeu, des choses que j’aime ou non, de même que mes joueurs.
Quoi qu’il en soit, Nautilus me donne l’impression d’être bâclé. Le monde est riche, bien réfléchi et décrit. La création de personnages est intéressante, mais le reste du moteur du jeu est trop simplifié à mon goût, au point de ne pas tenir la route. De ce que j’en ai lu, il s’agit d’une adaptation d’un système que DeadCrows a utilisé sur un autre jeu. J’ai l’impression que l’itération Nautilus n’a pas suffisamment été playtestée en tant que telle.
Dans la campagne, rien ne va. Sa création semble avoir été confiée à six copains différents, ayant des connaissances de Jules Verne très différentes et avec un brief minimaliste. Surtout, elle donne l’impression de ne pas avoir été réellement jouée de bout en bout.
À mon humble avis, tout n’est pas à jeter dans ce Nautilus. Le monde est véritablement porteur de promesses d’aventures. Avec un autre système (je pencherais pour du Gumshoe ou Chroniques Oubliées Contemporain) et un gros travail d’adaptation de la campagne, un MJ motivé pourrait en faire quelque chose de bien.
Personnellement, ce n’est pas ce que je recherchais, et mes joueurs non plus.
Ne manquez jamais une aventure !
Plongez dans l’univers fantastique de mes nouvelles SFFF, publiées gratuitement et sans publicité, à raison de 2 à 3 par mois. Vous aimez les récits qui vous transportent ? Abonnez-vous en laissant votre email et recevez une notification à chaque nouvelle publication.
En plus des articles réguliers, profitez de contenus exclusifs plusieurs fois par an.