Je vous ai déjà parlé de mon amour pour l’œuvre d’Howard. Cette semaine, je vous propose une fanfiction autour d’un autre de ses héros : Solomon Kane.
Nous retrouvons notre sombre puritain sous la pluie normande. Comme à son habitude, il est lancé dans une croisade vengeresse.
Auteur : Pascal Vanpée
Illustration : NightCafé
Attention : certains récits peuvent contenir des scènes de violence modérée ou des éléments qui pourraient choquer de jeunes lecteurs. Il est recommandé de les lire à partir de 16 ans.
Bien que ce ne fut pas son habitude, Solomon Kane jura en remontant les pans de son col. Dans son dos, les rires et les chants de ces maudits mangeurs de grenouilles résonnaient à l’intérieur de la taverne, inconscients du danger qui les guettait. La pluie qui tombait à verse trempait le puritain et renforçait d’autant sa détermination. Rien ne le détournerait de sa mission sacrée. Il avisa un appentis qui, en plus de le protéger, lui permettait d’observer discrètement les allées et venues des clients.
Cela faisait des mois que Solomon Kane enquêtait sur les agissements d’une société occulte : le Pinacle. Ses membres, des bourgeois anglais, œuvraient dans l’ombre pour changer les règles du monde et y répandre sauvagerie et violence. Organisés en cellules indépendantes et excessivement secrètes, c’est grâce à la providence que le puritain découvrit leurs activités. Depuis, au plus il fouillait, au plus il était révolté par les exactions de ces hommes et femmes sans morale. La justice divine devait les frapper et il en serait la main. Malgré les précautions dont les participants se drapaient, Kane avait la conviction d’avoir identifié l’un des dirigeants du groupe. Il s’agissait d’un dénommé Matthew Jones, un négociant de peaux de bêtes et autres produit du Nouveau Monde. Une couverture idéale pour voyager et créer les différentes cellules du Pinacle.
La traque de Jones l’avait amené à traverser la Manche et la Petite Bretagne, jusque dans cette ville française au nom imprononçable. Sous le regard attentif du puritain, l’intrigant avait démultiplié les rencontres discrètes. Manifestement, il recrutait un panel éclectique d’individus pour une opération d’envergure. Notre limier tentait de découvrir le lieu et la date du méfait. Pour y parvenir, il comptait sur une personne.
Une personne qui se faisait attendre !
C’est à peine s’il aperçut la petite porte de service s’entrouvrir et une silhouette s’enfoncer dans l’obscurité. Écoutant son instinct, Kane quitta son abri pour lui emboîter le pas. En quelques grandes enjambées, il rejoignit l’individu et lui posa une main ferme sur l’épaule. Celui-ci sursauta, manquant défaillir. Il s’agissait d’un homme de taille moyenne, chauve à la barbe hirsute. Même si elle n’était pas détrempée, sa mise n’avait plus son cachet d’antan. Cet homme était habité par le démon du jeu. Ancien notable, il parcourait à présent le royaume de France avec ses cartes dans l’espoir d’une quelconque fortune. Le puritain n’avait pas dû longtemps menacer son âme pour que le français accepte de se mettre à son service.
À sa façon de quitter l’auberge, il semblait finalement préférer la damnation éternelle.
– Où crois-tu aller ainsi, siffla Kane ?
– Je… je… tu ne réalises pas ce que tu me demandes, l’anglais.
La remarque fut accueillie par un silence glacial. L’homme se décida à poursuivre sa plaidoirie.
– J’ai assisté à leur réunion. Des mots terribles furent prononcés. Je n’ai pas tout compris, mais je suis certain qu’ils sont à même de plonger mon âme dans les ténèbres. J’arrête ! Tenez, prenez aussi mes cartes. Après ce que j’ai entendu, je vais rejoindre l’abbaye la plus proche.
Laissant tomber les cartes dans la boue, Kane articula lentement : « Où et quand ? »
D’un regard suppliant, l’homme chercha à croiser les yeux de son tortionnaire. Il ne rencontra que deux fentes brillantes d’une fureur froide dans les ténèbres.
– Dans la ferme du Gilles, à une lieue sur la route de l’ouest. Ils se réuniront pour accomplir leurs sombres desseins dans sa grange. Demain. À minuit, tout sera consommé.
Dans un élan de courage ou de peur, le joueur se détourna et reprit sa fuite. Il ne fallut que quelques secondes pour que le rideau de pluie se referme dans son dos. Le puritain resta seul à ses ruminations. Ces cultistes pensaient bientôt connaître la gloire ? Ils allaient apprendre la vengeance divine !
***
La journée suivante avait été plus clémente. Un ciel gris avait remplacé les lourds nuages de pluie. C’est donc sur une route de l’ouest boueuse que défilèrent coches, hommes montés et d’autres à pied, dès la fin de l’après-midi. De Kane, il n’y avait plus de trace.
La ferme du Gilles était une imposante bâtisse normande en L et aux murs couverts de colombages comblés par du torchis blanchi à la chaux. Des tables avaient été dressées dehors et la maîtresse des lieux, une fermière joviale, offrait pain et cidre aux pèlerins. Sa bonhomie tranchait avec la froideur de ses invités, qui restant seul, qui chuchotant en comité restreint. Tous dissimulaient leurs visages sous les pans de leur chapeau et le col de leur manteau ou à l’aide d’un foulard noir.
C’est à la nuit tombée que Matthew Jones arriva à bord d’un coche. Il demanda aux trois jeunes qui l’accompagnaient de débarquer les lourdes malles. L’équipage s’engouffra dans la grange, à la suite de leur maître, sans autre considération pour les personnes présentes. Un murmure de mécontentement se fit entendre. En effet, avec le coucher du soleil, les températures avaient fortement chuté et l’humidité remontait du sol sous la forme d’un épais brouillard. Malgré leurs tenues de voyage, les cultistes, nobles et bourgeois pour l’essentiel, goûtaient peu cette attente indigne de leur condition. Certains, grelottants, firent mine de reprendre la route au moment où la fermière mit en perce un tonneau d’eau-de-vie. L’occasion de se réchauffer fut trop belle et les verres passèrent de mains en mains tandis que l’ambiance se détendit. L’humeur n’eut pas le temps de redevenir maussade, que Matthew réapparu, affublé d’une robe rituelle noire brodée de rouge, invitant chacun à prendre place dans la grange.
Un large espace y avait été délimité par de grands bougeoirs d’où des bougies de suif noires laissaient échapper une lumière fragile. Au centre du cercle, une table était dressée avec différents objets, dont un imposant poignard ouvragé et une tête de chèvre coupée. Avec une pointe d’excitation, les convives se répartirent dans le bâtiment. Jones prit place derrière la table. Un de ses jeunes assistants lui ouvrit un livre précieux, tandis que le second refermait les lourdes portes de bois. S’ensuivirent de longues litanies, suite de phrases appelant les bonnes grâces des Ténèbres sur leurs entreprises. Ou encore, suppliant la Chèvre Noire d’apporter fertilité et réussite à toutes les personnes présentes. À ce moment, Matthew se présenta devant chacun pour lui entailler la main et verser son sang sur le sol. À la grande stupéfaction de l’assemblée, chaque goutte disparaît, absorbée par la terre dans un bruit de succion indicible. Au troisième convive, un cercle lumineux prit forme sous la table et une brume odorante coula au sol. Un murmure s’éleva, instantanément réprimé d’un regard sévère par le maître de cérémonie. Au dixième adepte, un monolithe noir surgit lentement au centre de la lumière. Chacun resta immobile, fasciné par l’apparition contre nature. Au onzième invité, le son caractéristique d’un pistolet à silex que l’on arme, suivi d’un claquement sec, retentit. Matthew Jones s’effondra au sol, l’arrière du crâne béant. Profitant de la surprise, Solomon Kane, car c’est lui qui est parvenu à infiltrer la cérémonie, retenant son bras vengeur jusqu’à ce moment critique, poussa violemment un bougeoir vers un tas de paille qui s’embrasa instantanément. L’effet fut immédiat, aidé par les quantités d’alcool bues depuis leur arrivée, les cultistes fuirent la grange dans le plus grand désordre. Le puritain quant à lui, se fraya un chemin à coup de crosse lestée vers le centre de la réunion. Il dégaina sa rapière et d’un coup de botte dégagea la table et ses macabres accessoires. Du cercle lumineux, se souleva le monolithe noir avant de tomber sur le flanc, révélant le troisième assistant, accroupi dans un trou fraichement creusé et entouré de bougies et autres encensoirs. Tel un diable surgissant de sa boîte, il bondit sur Kane et lui enfonça un couteau dans l’épaule. Alors que l’anglais grogna, le jeune se raidit et porta ses mains à son ventre. La lame de la rapière l’y traversait de part en part. Une rose écarlate macula progressivement le lin de la chemise. D’un geste sec, Kane dégagea son arme, laissant choir le corps inanimé dans le trou qu’il n’aurait pas dû quitter si précipitamment.
Dans la nuit noire, la grange du Gilles terminait de se consumer alors qu’un détachement de gardes, accompagné de citoyens équipés des barriques d’eau, investissait les lieux. Du champ voisin, Solomon Kane observait la scène tout en faisant le point. Matthew Jones était mort et sa terrible manipulation pour gruger les notables français était révélée au grand jour. Le puritain regretta un instant le sort de l’assistant. Il aurait aimé faire preuve de tempérance. Mais si la prudence avait quitté le jeune homme, c’est qu’il devait en être ainsi. Il tourna le dos à la ferme et prit la direction de la ville. La justice divine a été rendue !
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